Les deux communautés ne partagent plus beaucoup d'institutions nationales,si ce n'est la justice, l'armée et la couronne royale.
Si la Belgique se dissout un jour, ce pourrait être dans une ville comme Vilvoorde où Flamands et Wallons réalisent qu'ils ne partagent guère plus qu'une couronne, un passeport devenu européen et un drapeau plutôt fatigué. La troisième démission du premier ministre Yves Leterme a surpris la cité, comme le reste du royaume. Mais en terre flamande, à 10 km au nord de Bruxelles, c'est à peine si la crise politique agite les terrasses de café, sous les paisibles tilleuls du Grote Markt. La Belgique au bord du gouffre ? «Des enfantillages de politiciens, dit d'un air un peu blasé Hervé Vandenbossche, directeur retraité d'une école qui fut jadis bilingue. La majorité des Flamands ne veut pas d'un divorce. Mais c'est peut-être la seule solution qui reste, après avoir épuisé toutes les autres.»
Beaucoup de Belges y sont résignés. Deux Flamands sur trois jugent la rupture inévitable, 178 ans après la création du royaume. Le premier ministre démissionnaire a pu dire que sa fonction restera comme «un accident de l'histoire». À Vilvoorde, Eugène Messemaekers est le chef de file de francophones qui se disent victimes du «racisme» linguistique flamand. Il est sans appel : «Seule la séparation peut encore nous sauver.»
La question de la langue fait le miel des hommes politiques au Nord flamand comme au Sud wallon. Elle excite les passions et renforce les extrêmes. À Vilvoorde, les nationalistes du NVA ont réussi à faire de la pratique du néerlandais le préalable à l'acquisition d'un logement social. «Comment voulez-vous vous intégrer ici si vous ne parlez pas la langue ?», avance Corinne Olbrechts, premier échevin et alliée de circonstance des nationalistes.
Exclusion linguistique
L'argument dépasse les frontières de la Belgique. Mais les francophones s'étranglent, en invoquant la Constitution et le respect dû dans tout le royaume, aux langues fondatrices. Depuis 21 ans, à la mairie de Vilvoorde la flamande, le conseiller Messemaekers vote «oui» ou «non» en français, plutôt que «ja» ou «neen». Depuis 21 ans, son suffrage se retrouve à chaque fois invalidé. Adversaires en politique, l'échevin flamand et le conseiller wallon pointent vers le même diagnostic : une incommunicabilité croissante entre les deux communautés. De la reconnaissance de deux langues (trois, en comptant la minorité germanophone), Flamands et Wallons sont passés à l'exclusion linguistique mutuelle. «L'école, c'est le creuset d'une nation, explique le retraité Hervé Vandenbossche. Il y a quelques années encore, les élus des deux camps communiquaient parce qu'ils étaient passés par les mêmes bancs. Aujourd'hui, chaque communauté a ses écoles et n'enseigne que dans sa langue. Flamands ou Wallons, les hommes politiques se comprennent encore mais ils ne s'entendent plus. Que reste-t-il de la Belgique ?»
Les Flamands représentent à peu près 60 % d'une population de 10,5 millions d'habitants, les Wallons 40 %. Mais à part la famille royale, les emblèmes de l'État, la justice et l'armée, ils ne partagent plus aucune institution nationale. Pas une seule université, pas une chaîne de télévision, pas même un parti politique. Au gouvernement fédéral se substituent chaque jour davantage trois pouvoirs régionaux (Flandre, Wallonie et l'agglomération de Bruxelles, officiellement bilingue). Il faut y ajouter la représentation des communautés linguistiques. Bref, «des mondes qui se côtoient sans jamais se mélanger», reconnaît l'échevin Olbrechts.
C'est le poids électoral des Flamands, et surtout leur fierté retrouvée, qui sont venus déchirer l'illusion unitaire. À Vilvoorde, dans un café du Grote Markt, l'antique cabine téléphonique porte encore une inscription en français. Le Rotary-Club, refuge des élites d'autrefois, délibère parfois dans la langue des Wallons. Mais c'est à peu près tout ce qui reste d'une ère aujourd'hui décriée par les livres d'école flamands : celle où la maîtrise du français était un ascenseur social, du corps des officiers à la bonne bourgeoise, des maîtres de forges à la cour royale. Quoi qu'on en dise, c'était aussi un trait d'union.
Aujourd'hui, le Flamand prend sa revanche et c'est le reflet d'autres réalités économiques. «Notre modèle fonctionne mieux et les Wallons feraient bien de s'en inspirer», dit un chef d'entreprise qui préfère garder l'anonymat. Naguère méprisée, la Flandre est aujourd'hui plus entreprenante, plus riche et sûrement mieux gérée. Du coup elle fait vivre la Belgique et boucle les fins de mois de la Wallonie. Elle peut aussi envisager sereinement la rupture. «Nous voulons bien aider, dit Ivan Bojaerts, entrepreneur en quincaillerie à Vilvoorde. Mais nous ne paierons pas éternellement pour un puits sans fond.»
Article issu du Figaro, par Jean-Jacques Mével
jeudi 17 juillet 2008
Un prochain divorce en Flamands et Wallons ...
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